24 septembre 2025

1875 - La mort du « prince polonais » à Luchon : entre légende médiatique et vérité des archives

Le XIXᵉ siècle raffolait des faits divers spectaculaires, surtout lorsqu’ils mettaient en scène des aristocrates étrangers, jeunes, fortunés et extravagants.
 
En octobre 1875, L’Opinion Nationale publiait l’histoire dramatique d’un prince polonais mort à Bagnères-de-Luchon lors d’une chasse à l’isard.
Le récit avait tout d’un feuilleton romantique : jeunesse, passion, fortune dissipée et mort brutale dans les Pyrénées. 

Mais les archives de Luchon racontent une autre histoire.
L’acte de décès permet aujourd’hui de rectifier les détails enjolivés par les journaux et de rendre à ce personnage son identité véritable.

La version journalistique : un roman de montagne

Dans son édition du 30 octobre 1875, L’Opinion Nationale rapporte :


   
"Un jeune prince polonais, jeune homme de 25 ans, très répandu dans le monde parisien, avait loué pour la saison d’automne, moyennant 6 000 francs, la villa Bertin qu’avait habitée, en 1867, l’écolier de Woolwich. Il avait amené avec lui une jeune fille de dix-neuf ans, appartenant, paraît-il, à une famille très honorable.

Ces jeunes gens se faisaient remarquer par leurs excentricités. Outre de nombreux domestiques à son service, le jeune Polonais avait loué sept guides qui l'accompagnaient dans la montagne, où il chassait l'isard avec sa maîtresse, qui s'était fait faire un costume de chasse.

Avant-hier matin, étant parti pour chasser cet animal qui se retire sur les pics d’où il franchit les escarpements avec la souplesse d'une gazelle, ses guides lui firent observer que la neige qui était tombée pendant la nuit, rendait cette chasse très périlleuse. Le jeune homme ne voulut pas se rendre à ses sages conseils. Il laissa sa maîtresse à l'hôtel dit l'Hospice de Luchon, et continua son ascension avec son guide Haurillon.

Arrivé dans un endroit très escarpé, son guide l'invita à se tenir à sa ceinture.

    - C'est bon pour les hommes, répondit le jeune imprudent.

A cet instant, une cigale passe au-dessus de sa tête ; il la regarde ; puis, abaissant son regard dans le vide, le vertige le saisit et il tombe sur des rochers couverts de neige, à une hauteur de dix mètres. La fatalité voulut que, dans sa chute, il fit partir de ses doigts crispés les deux coups de son fusil, chargé de chevrotines, dont l'un l'atteignit à la cuisse droite. Il était deux heures.

Haurillon descendit dans la crevasse où gisait le malheureux jeune homme, qui s'était fracturé la jambe et perdait beaucoup de sang par sa blessure. Haurillon enleva ses vêtements et déchira sa chemise, dont il fit des compresses ; puis il alla chercher du secours.

L'opération avait épuisé ses forces ; il marcha deux heures, chargeant et déchargeant son arme. Le dernier coup de fusil mit heureusement en éveil les soldats du poste, qui sortirent pour explorer les environs. Ils trouvèrent le guide évanoui.

Ce n'est qu'après une heure de soins qu'on parvint à lui faire reprendre connaissance. Il raconta alors le malheur qui avait arrivé au jeune chasseur, et, sur ses indications, les soldats partirent à la recherche du blessé. La nuit était venue et ce n’est qu’à neuf heures qu'ils le découvrirent.

Les soldats le placèrent sur un matelas qu'ils avaient apporté et le chargèrent sur leurs épaules. Arrivé à l'hôtel où l'attendait un médecin, appelé en toute hâte, il fut examiné. L’amputation fut jugée nécessaire. Le jeune homme fut chloroformé et succomba au milieu de l’opération.

Son frère, qui habite Paris, averti par un télégramme, se rendit à Luchon. Les scellés avaient été apposés à la villa.

On a trouvé 37,000 fr. et tous les bijoux de la jeune personne ont été saisis.

Le bruit était généralement répandu dans la ville que le défunt avait dépensé depuis sa majorité, la somme de 700,000 fr. 



L'écolier de Woolwich, cité dans l'article, désigne le Prince Impérial Louis-Napoléon Bonaparte qui séjourna à la Villa Bertin en 1867


La vérité des archives : l’acte de décès de Luchon

L’acte de décès conservé aux archives (Acte 111) apporte les précisions ci-dessous.
  • Nom : Stephan de Skarbek de Malczewski
  • Date du décès : 21 juin 1875, soit plusieurs mois avant la parution de l’article.
  • Âge : 35 ans, et non 25 comme l'indique le journal.
  • Lieu du décès : La Villa Bertin, où il résidait
  • Cause du décès : non précisée sur l’acte de décès.

 

Bagnères-de-Luchon. 31 - 1 E 97 - NMD - 1875 - page 63


Entre légende et histoire

La mort de Stephan de Skarbek de Malczewski, survenue le 21 juin 1875, illustre parfaitement la manière dont un événement peut être transformé en récit romanesque par la presse du XIXᵉ siècle.
Le décalage entre la date du drame et la publication de l’article a permis l’ajout de détails sensationnels et la déformation des faits.

Derrière la légende du « jeune prince polonais » demeure l’homme réel : un aristocrate de 35 ans dont la vie s’est terminée tragiquement dans les montagnes de Luchon.

 

21 septembre 2025

05 juin 1725 - Un enfant tombé dans une fosse à Kirville (Moselle)

 

Le 05 juin 1725, un enfant est retrouvé mort dans une fosse à Kirville (Moselle actuelle).

Le rapport du maître chirurgien révèle l'absence de "coup, ni blessure". Il conclut que la mort est la conséquence d'un accident.

 

AD 57 - Hazembourg - 9NUM/313ED1E1 - BMS - 1717-1744 - p 7

 

J’ay, maitre chirurgien juré au raport
 en la chatenery d’Albestrof au val 
de Gieblanche et autre lieux, 
certifie que ce 5 juin de l'an 1725
au environ de 10 du matin, je me suis
transporté au village de Kirville pour
visenter un corps mort qui m'a paru avoir esté
mie dans une fosse, a ce qui m'ont dit et 
declarés les habitants de Kirville, qui l'ont
tiré hors de ladite fosse vers les 10 heures
du soire le quatrième du present mois.
je l'ay visenté tous les membres de son corps
je nay trouvé aucun coup, ny blesure, 
ce qui m'a fait juger que ledit enfans a tombé
dans ladite fosse par accident, comme
leditte enfans n'ayant esté rapelé de 
personne, j’ay delivré le present raport
entre les mains de Mr Bezu administ-
rateur d’Hazambourg et de Kirville
pour servir et valoir envers qui il appartien
drat, ainsy que de raison. donné à Kirville
ce 5 juin 1725.
Gile Mesanselle

 

20 septembre 2025

Antoine BLAISE ou le fantôme d'un noyé de 1888

 

Antoine BLAISE, frère de mon grand-père maternel, âgé de 8 ans en 1888, patinait sur un étang gelé, quand soudain...

Après des décennies de silence, j'ai découvert son histoire en 2020.

Je vous invite à découvrir comment le souvenir d'Antoine a voyagé à travers le temps et comment son absence a paradoxalement tracé un chemin de vie dans ma famille qui n'a pourtant jamais connu son existence !

Un bel exemple de fidélité familiale en psychogénéalogie.

 

#RDVAncestral est un challenge qui consiste à aller à la rencontre de l'un de ses ancêtres (ou d'un collatéral d'un temps passé) dans son époque et sur son lieu de vie. 







06 août 2025

Félix Jean JOUANETON - Un petit homme dans la Grande Guerre

Jugé trop frêle par l'armée en 1904, Félix Jean JOUANETON, un "petit homme" de 1,45 mètre, est d'abord exempté du service militaire pour infantilisme. 

Mais la guerre, avec une cruauté implacable, le rattrape en 1915 et Félix, en marche vers son destin, disparaît à jamais dans le fracas de la bataille de Verdun.


10 juillet 2025

Au-delà du handicap, une leçon de vie !

#laphotodumois - juillet 2025 

Derrière cette simple photo,
se cache un véritable combat.

 Mais laissez-moi vous conter ce moment particulier de 2011.

 

Le doux soleil d'un matin de juin caressait le manège, mais pour moi, la lumière était floue, brouillée par l'émotion brute qui serrait ma gorge

 

À 21 ans, avec l'apparence d'un enfant de 12 ans, mon fils en situation de handicap portait sur ses épaules frêles le poids de défis invisibles pour la plupart.

 

Aujourd'hui était le Grand Jour, celui du passage de son Galop 1 et pour lui, c'était bien plus qu'un diplôme : c'était la promesse d'une revanche sur tant de frustrations, un témoignage bouleversant de sa volonté farouche.

Chaque fibre de mon être tremblait d'appréhension et d'une fierté déjà déchirante.

 

Le Galop 1, ce premier pas officiel dans le monde équestre, suppose une aisance avec des bases qui, pour la plupart, sont intuitives.

Mais pour mon enfant multidys, confronté notamment à la dysphasie qui emprisonne ses pensées, à la dyspraxie qui rend ses gestes si peu fluides, et qui, de surcroît, ne sait ni lire ni écrire, chaque consigne était une énigme, chaque repère spatial une montagne.

Je savais ce que ça lui coûtait : les mots qui se bousculent, se déforment dans sa tête, le vertige face aux notions de droite et de gauche, la quête incessante de sens dans chaque phrase qu'on lui adresse, l'effort surhumain pour simplement coordonner ses mains et ses pieds.

Et pourtant, il était là, petit géant sur sa monture au pelage moucheté, les épaules droites, le visage concentré, prêt à affronter son défi sous mon regard empli d'une prière silencieuse.

 

L'examen, avec ses phases, déroulait son lot d'épreuves.
Imaginez la scène : des termes techniques, des noms de harnachement, le vocabulaire complexe des allures.
  
Pour mon fils, sans accès à l'écrit, et avec cette dysphasie qui tord les phrases, c'était un calvaire auditif et mental. Chaque mot prononcé par la monitrice était une perle qu'il devait s'efforcer de saisir, de mémoriser, de recracher.
Mon cœur se serrait à l'idée de son angoisse face à l'échec.
 

Mais son amour viscéral des chevaux... c'était ça, son super-pouvoir.

Il puisait en lui une force insoupçonnée, Il avait su tissé sa propre stratégie, des images mentales, des gestes pour contourner les mots, pour que le savoir puisse enfin l'atteindre.

 

Vint ensuite la préparation du cheval : le brosser, le seller, le brider. Des rituels qui exigent précision et coordination. 

Pour lui, la dyspraxie transforme chaque geste en une chorégraphie délicate, souvent hésitante. Observer ses mains, parfois gauches, s'efforcer de fixer une boucle, d'ajuster une sangle...

Chaque petite victoire dans ces gestes quotidiens me tirait des larmes muettes, car je savais le courage qu'il fallait pour persévérer là où d'autres n'auraient eu qu'à suivre une routine.

 

Puis, le moment de vérité, la pratique à cheval. 
Je le voyais s'élancer, fragile et puissant à la fois.

Avancer, s'arrêter, tourner… Des figures qui, sur le papier, semblent si évidentes. Mais pour lui, maintenir cet équilibre précaire, décrypter les instructions que sa monitrice adaptait avec une bienveillance infinie, sentir ce grand corps sous lui, anticiper… tout cela en luttant contre un cerveau qui parfois lui jouait des tours, inversait les consignes, ralentissait les réflexes.

 

Chaque pas de son compagnon équin était un pas qu'il arrachait à ses propres limites. Combien de fois l'avais-je vu chuter devant les épreuves de la vie puis se relever avec une dignité farouche ?

Les doutes ont été des océans, la frustration des incendies, mais il n'a jamais, jamais abandonné.

 

Et là, sur cet équidé, il n'y avait plus de "dys", plus de mots qui manquent, juste une fusion, une communion pure. Là-haut, il était libre, fort, complet.

Mes mains étaient moites, mon cœur tambourinait dans ma poitrine.
Chaque mouvement de mon fils était une onde d'espoir ou une vague d'angoisse.

Je revoyais en accéléré toutes les batailles livrées pour lui, chaque porte qui s'est fermée, chaque victoire arrachée, les nuits sans sommeil à chercher des solutions.

 

Il était là, sous mes yeux, transformant l'impossible en réalité.
Je retenais mes larmes ressentant une tension et une fierté si immense qu'elle en devenait douloureuse. La fierté d'une mère voyant son enfant, vulnérable et pourtant si fort, défier toutes les prédictions.
 
Cette résilience, c'est son autre super-pouvoir, ce fil d'Ariane tissé de ténacité qui l'a guidé à travers ce labyrinthe.
C'est sa capacité presque divine à se relever, à transformer les obstacles en tremplins.
 

Il prouve, à chaque instant, que la différence n'est pas un fardeau, mais une source d'une force décuplée, d'une persévérance qui force l'admiration.

Il est la démonstration vivante que d'autres formes d'intelligence, d'autres canaux de communication et d'apprentissage existent et peuvent mener à l'excellence, bien au-delà de ce que les normes imposent.

 

La monitrice a finalement prononcé ces mots, "C'est réussi !"

Mon souffle est revenu d'un coup, comme un grand soupir de l'univers.
Le barrage a cédé en moi, des larmes chaudes et salées, ont inondé mes joues, mélange de joie pure et de soulagement infini.
 

Ce Galop 1 n'est pas qu'un morceau de papier ; c'est un serment, un symbole puissant de ce que l'âme humaine peut accomplir quand elle refuse de plier.

Et là, sous la lumière douce d'un matin de juin, sur le dos de cet ami, mon fils n'était plus seulement un cavalier.

Il était mon héros, un exemple pour chacun de nous, inspirant par sa seule présence et la grandeur de son chemin parcouru.

 

Cette image n'est pas anodine : elle est le manifeste d'une résilience indomptable, la douce revanche d'une âme que la société avait si vite déclarée hors-jeu !

06 juillet 2025

Au cœur des Pyrénées du XVIIIe Siècle - Le drame de Jean RASTOUILLE (1754-1756)

Dans le vaste et parfois silencieux univers de la généalogie, chaque document exhumé est une voix du passé qui se fait entendre.

 

Parfois, cette voix est claire et limpide ; d'autres fois, elle est un murmure lointain, exigeant patience et persévérance pour être déchiffrée.

 

C'est précisément le cas de l'acte de décès de Jean Rastouille, un fragment d'histoire familiale qui, malgré sa nature tragique et sa calligraphie ardue, a ouvert des perspectives insoupçonnées sur la vie de mes ancêtres au XVIIIe siècle.

 

Cet article se propose de plonger dans ce document singulier, d'en décrypter les lignes, d'en interpréter les silences, et de révéler comment un drame ancien peut éclairer et relancer une quête généalogique.

 

#LaVoixDuPapier - Un défi initié par Emile & Archives - Le principe est simple : choisir un seul et unique document d'archive et en faire la star de votre article. 



05 juillet 2025

Louise BLANCHON - sosa 2947 - une femme, un rameau, une histoire

Loin de l'image d'une Blanche-Neige isolée, l'histoire de Louise BLANCHON est celle d'une femme qui a su ensemencer sa vie. 

Un patronyme unique dans mon arbre, un mystère sur ses origines, mais une certitude : elle vécut une existence remarquable en Isère, faisant preuve d'une résilience peu commune pour son temps.

 

#rameauxcaches est un défi généalogique né dans le groupe "Raconter sa généalogie".  Le principe ? Découvrir et partager, chaque 5 du mois, l'histoire d'un ancêtre ou collatéral dans la cime de notre arbre généalogique, dont le nom apparaît très rarement (1 à 3-4 fois). Une façon de redécouvrir ces ancêtres invisibles, de leur redonner une place dans notre mémoire. 

 



19 avril 2025

1708 - Le massacre oublié de Jean LABORDE dit L'Aîné

1708 - Les Pyrénées - De sinistres Miquelets - Quatre amis égorgés dont le frère et le beau-frère d'Augustin LABORDE, mon ancêtre !

Sur cette terre où le sang a coulé voici plus de trois siècles, une rencontre impensable...

Accrochez-vous et partez à la découverte de ce rendez-vous ancestral !

 

#RDVAncestral est un challenge qui consiste à aller à la rencontre de l'un de ses ancêtres (ou d'un collatéral d'un temps passé) dans son époque et sur son lieu de vie. 

 

23 mars 2025

Sosa 129 - 15 mars 1723 - Le désistement de Françoise LABORDE dite ARBOUCH

 

Au cœur du XVIIIe siècle, dans le petit village pyrénéen de Jurvielle (Haute-Garonne) se déroule une affaire familiale complexe, mettant en lumière les dynamiques sociales et les rapports de pouvoir de l'époque.

Le document daté du 15 mars 1723, intitulé "Désistement pour Guilhamet contre Laborde", nous immerge au sein d'un conflit familial, révélant les tensions qui opposent les couples Guilhamet et Laborde.

À travers le désistement d'une plainte initiale de Françoise Laborde dite Arbouch, épouse de Simon Guilhamet, se dessine une histoire de manipulation, de fausses accusations et de tentative de division familiale. 

Cet acte notarié, rédigé à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne), offre un témoignage précieux sur les réalités de la vie quotidienne et invite à explorer les conséquences psychogénéalogiques potentielles pour les descendants dont je suis.